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Il était une fois en Amérique

« Un voyage se passe de motifs » écrivait Bouvier au début de L'usage du monde. Là, c'est une autre histoire, des raisons qui me poussaient vers les États-Unis, j’en avais à foison. Mettons de côté les causes rebattues : partir à la rencontre de l'autre, découvrir de nouvelles cultures… ce qui m'avait entraîné vers ce pays, c’était le mythe.

Des Mystères de l'Ouest aux dernières séances de Monsieur Eddy, des poursuites endiablées du dimanche de Starsky aux cascades de Colt Seavers, il me semblait connaître ce pays comme ma poche. Robert Conrad, John Wayne, le grand Clint Eastwood, Tom Selleck ou encore Lee Majors, n'ont jamais quitté l’écran qui était en ce temps ma fenêtre ouverte sur le monde. J'ai vu arriver le hip hop, le rap, l’icône Jackson. J'ai grandi au son d’Elvis. Bercé par Apache des Shadows (je sais, je sais… c'est un groupe anglais), les riffs de rock and roll et les accords de blues ont façonné mon oreille. La trompette de Miles Davis accompagnait mes lectures de Kerouac, les grands espaces alimentaient mes jeux d'enfants. J'étais tour a tour Geronimo, le marshal de Rapid City, un desperado pilleur de banque. Des séries, des films, des livres, des bd, des vinyles à la sauce ketchup ont accompagné mon enfance et mon adolescence. Je voulais donc voir devant moi cette Amérique, celle de Steinbeck, de London, celle de Tarantino ou de Sergio Leone. Toutes ces Amériques, car à cette époque pour moi l’Amérique se limitait aux States. Que de clichés me direz-vous, alors allons jusqu'au bout, non seulement je suis entré dans ce pays avec mes clichés sous le bras mais aussi avec des idées préconçues sous la casquette. Et là, j'ai pris une grande claque. Pourtant, il y a bien longtemps que j’ai laissé au bord de la route le bagage des préjugés, que les voyages m'ont appris à traverser les contrées l'esprit libre, laissant l’expérience seul maître à bord. Mais les Etats-Unis, c'est plus fort que tout, le jukebox des medias n'a cessé de faire tourner le même 45 tours sur la platine et les stéréotypes attachés à ce pays ont la dent dure, mais pourtant creuse.

Traverser la contrée du Nord au Sud et d'Est en Ouest, vous ouvre les portes des classes sociales et des différents modes de vie qui s'étalent sur la palette des états. Citadin chic de New York, Amish de Pennsylvanie, Fermier de l'Ohio, Haïtien vaudou des bas fond de St Louis Missouri, cow-boy du Texas, flambeur de Las Vegas, indien du Nouveau Mexique, latino de Californie. J'aurais aimé entendre le banjo du Mississippi et les cuivres de la Louisiane, une autre fois peut-être… Une vie bien différente pour tous ces Américains, une vie souvent proche de la ligne qui vous propulse d'une baraque à la rue. Pauvreté et précarité suintent des villes. Devant les commerces, nos bicyclettes et leurs remorques attiraient les naufragés de la vie qui entamaient la conversation avec moi comme avec un vieux compagnon de galère. Cyclo et clodo, la différence n'est pas toujours évidente. Une misère flagrante mais pourtant des incivilités invisibles. Les portes restent ouvertes, les vigiles de supermarché sont à la retraite. La loi, c'est la loi et elle est respectée à la lettre, sans pour autant rencontrer un flic à chaque coin de rue, loin de là. La police est pourtant bien venue nous réveiller au milieu de la nuit parce que nous dormions sous une tente près d'une route, mais l'intervention fut polie et sans agressivité. Tout ceci pour dire que nous avons été agréablement surpris par l'accueil, la sympathie et bienveillance des Américains. Sur la route, les automobilistes et routiers s'écartent jusqu'à emprunter la voie de gauche, les salutations d'un signe franc ou du bout du doigt semblent banales comme un bonjour chez le boulanger du coin. Un petit mot d'encouragement, une tape dans la main ou sur l'épaule appuyée d'un « good job boy ! ». Welcome USA, God bless you, des prières à table pour appeler la protection divine à notre chevet. voilà remisé au placard le côté individualiste qu'on attend d'un Américain. La politique, un sujet qui fâche. On nous a toujours parlé ouvertement de politique, et tout ce qui est venu à mon oreille est loin de refléter la situation actuelle. Nous avons rencontré des gens qui s’inquiètent, qui ont aussi le souci de l'image de leur pays et qui s’intéressent à notre ressenti, à l’accueil qui nous est réservé. Quant à l'hyper consommation, je citais plus haut dans ce texte des séries télévisées des années 60 à 80, et bien rien n'a bougé. Je me suis baladé dans les mêmes décors de cinéma qui traversaient alors le tube cathodique, j'ai rencontré des acteurs et figurants habillés à l'identique, comme si la course frénétique de l'Amérique vers la modernisme s'était figée en l'an 1990. Il semblerait que le pays s'est heurté à un mur temporel. Un retour vers le futur non pas au volant de la De Lorean nucléaire du Doc Brown mais au guidon de nos vélos solaires maison. J'ai toujours comparé ma bicyclette à une machine à remonter le temps qui m'a souvent transporté à travers des pays dans des époques qui semblent révolues vues de notre vieille Europe de l’Ouest. Et bien, aux Etats-Unis, je n'ai pas eu de mal à rencontrer le jeune Marty et ses parents qui fleuretaient le soir du bal de promotion. Projeté dans les années 50, la route 66 qui défilait sous nos roues comme le rouleau de papier sur lequel Kerouac rédigea en 3 semaines le mythique Sur la route, nous teleporta en 1960, 70, 80, puis au temps des chariots, des colts et des bisons.

La fin d’un film n'est pas toujours heureuse. Il arrive qu'on lâche une larme discrète au coin de l'œil devant la dernière scène. Je ne veux pas revenir sur cette fin là, je l'ai déjà dit. Mais, je souhaite préciser que ceci aurait pu nous arriver n'importe où dans le monde. Si nous avons changé radicalement de continent, ce n'est que pour mettre de la distance avec l’événement.

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